« Nous avons en haut, sous le toit, une grande chambre de débarras, qu'on appelle « la pièce aux vieux objets ». Tout ce qui ne sert plus est jeté là. Souvent j'y monte et je regarde autour de moi. Alors je retrouve un tas de riens auxquels je ne pensais plus, et qui me rappellent un tas de choses. Ce ne sont point ces ...
« Nous avons en haut, sous le toit, une grande chambre de débarras, qu'on appelle « la pièce aux vieux objets ». Tout ce qui ne sert plus est jeté là. Souvent j'y monte et je regarde autour de moi. Alors je retrouve un tas de riens auxquels je ne pensais plus, et qui me rappellent un tas de choses. Ce ne sont point ces bons meubles amis que nous connaissons depuis l'enfance, et auxquels sont attachés des souvenirs d'événements, de joies ou de tristesses, des dates de notre histoire ; qui ont pris, à force d'être mêlés à notre vie, une sorte de personnalité, une physionomie ; qui sont les compagnons de nos heures douces ou sombres, les seuls compagnons, hélas ! que nous sommes sûrs de ne pas perdre, les seuls qui ne mourront point comme les autres, ceux dont les traits, les yeux aimants, la bouche, la voix sont disparus à jamais. Mais je retrouve dans le fouillis des bibelots usés ces vieux petits objets insignifiants qui ont traîné pendant quarante ans à côté de nous sans qu'on les ait jamais remarqués, et qui, quand on les revoit tout à coup, prennent une importance, une signification de témoins anciens »
Guy de MAUPASSANT
Guy de Maupassant, "Vieux objets", Contes et nouvelles, tome 1, Paris:Gallimard (La Pléiade), 1882, p. 400.