Le 1er Septembre 1686 est un jour important pour la diplomatie française : Louis XIV, hostile au commerce des hollandais, reçoit solennellement les ambassadeurs du roi de Siam, Phra Naraï, et entend pousser toujours plus loin l’influence de la France, jusqu’en Extrême-Orient où la Hollande a des comptoirs.
Le faste exubérant déployé pour la réc...
Le 1er Septembre 1686 est un jour important pour la diplomatie française : Louis XIV, hostile au commerce des hollandais, reçoit solennellement les ambassadeurs du roi de Siam, Phra Naraï, et entend pousser toujours plus loin l’influence de la France, jusqu’en Extrême-Orient où la Hollande a des comptoirs.
Le faste exubérant déployé pour la réception officielle des diplomates du royaume de Siam est un nouveau signal de la gloire du Roi-Soleil, mais aussi un signe de reconnaissance de la grande puissance d’Asie qu’est le Siam ; ce royaume situé entre l’Inde et la Chine, qui fascine l’Occident par le raffinement de sa culture.
Bien que souffrant, Louis XIV reçoit les ambassadeurs qui viennent lui délivrer une lettre du roi Phra Naraï. Avec un respect non contraint, ils se prosternent devant le roi, tel un dieu vivant, sans oser le regarder. Louis XIV les autorise à lever les yeux, contrairement à leur coutume. A l'issue de cette audience, le Roi Soleil est comblé et en signe de reconnaissance, il leur fait l’honneur de la visite de ses appartements et de ses jardins, dont l’orangerie qui vient tout juste d’être achevée.
Fig.1.
L’effet de cette visite privée fut magistral ; l'un des ambassadeurs s’exclama : « après les trois grandeurs de l’Homme, de Dieu et du Paradis, il connaissait désormais celle de Versailles. »
Originaire d’Asie, l’oranger fut introduit en Europe au XVème siècle. François 1er avait déjà bâti une orangerie à Fontainebleau, mais Louis XIV voulait offrir un écrin plus majestueux encore aux orangers, auxquels il avait déjà réservé une place de prestige dans la galerie des Glaces du Château : « Huit brancards d’argent portant des girandoles sont entre quatre caisses d’orangers d’argent, portés sur des bases de même métal, et garnissent l’entre-deux des fenêtres[1] ».
Magnifiés dans cet écrin, les orangers devaient l’être également à l’extérieur du château. Aussi, peu de temps après l’installation de la cour à Versailles, il demanda à Jules Hardouin-Mansart, premier architecte du roi, de construire une Orangerie, à l’image de sa gloire et du Château de Versailles, en lieu et place de la petite orangerie construite en 1663, par son prédécesseur, Louis Le Vau.
Après deux années de travaux, en 1686, l’Orangerie du Roy voit le jour. Prodige d’architecture, l’Orangerie se compose d’un jardin extérieur et d’un bâtiment enfoui sous terre, structuré autour d’une galerie centrale voûtée, longue de 150 mètres de long et culminant à 13 mètres de hauteur, flanquée de deux ailes de 117 mètres supportant les deux escaliers dits des Cent-Marches. Les murs d’une épaisseur de 5 mètres protègent les plantes des courants d’air et maintiennent une température intérieure constante, comprise entre 5 et 8 °C en hiver.
Lieu féerique, l’Orangerie du Roy est le théâtre vivant d’une symphonie unique au monde de senteurs enivrantes aux accents des pays du soleil. Au cœur de l’orchestre trône une végétation luxuriante, aux allures presque tropicales.
La place accordée aux orangers par le Grand Roi n’avaient pas échappé aux ambassadeurs du royaume de Siam. « C’est ce qui fit dire au premier ambassadeur [de Siam] que la magnificence du Roi était grande d’avoir un si superbe bâtiment pour servir de maison à ses orangers. Il ajouta qu’il y avait bien des rois qui n’en avaient pas de si belles.[2]»
Pour peupler l’orangerie, Louis XIV rassembla tous les orangers des maisons royales et fit l’acquisition de nouveaux arbres en Italie, en Espagne et au Portugal. Et il put bientôt s’enorgueillir de posséder la plus grande collection d’Europe.
La passion de Louis XIV pour les orangers donna ses lettres de noblesse à l’arbuste venu de Chine. Et c’est ainsi, qu’à partir du XVIIe siècle, dans le sillage du souverain, l’oranger fut définitivement associé au raffinement français, comme le relate l’ouvrage Les délices de la France paru en 1685 : « il faut transporter les Oranges autour des lits, en garnir les chambres, parsemer les alcôves de leurs fleurs, les fouler aux pieds, pour les mieux sentir; farcir des coussins de mille odeurs aromatiques , laver les mains avec l'eau de naphte, faire des bains précieux, mettre les fleurs à l'alambic, pour en tirer le plus pur, et enivrer jusqu'aux serviettes, aux habits, aux linceuls, aux chemises, aux bas, aux souliers, et tous les meubles de la maison, de ces précieuses odeurs. […]
0ù est-ce donc qu'on trouvera un Pays aussi délicieux que la France; puisque l'on ne mange, et l'on ne dort, l'on ne vit, et l'on ne marche, que sur les fleurs, et que parmi les odeurs? N'ai-je donc pas raison de dire, que notre incomparable Etat est Paradis de délices, pour ceux qui veulent satisfaire leurs sens, et passer leur vie dans les plaisirs: puisque l'Odorat y trouve si abondamment de quoi se contenter[3]. »
Dès lors, avec la rose et le jasmin, sublimés par l’Orangerie du Roy, l’eau de fleurs d’oranger, appelée également eau de naphe, entre définitivement dans l’Histoire de la Cour et dans la composition de très nombreuses préparations odoriférantes et cosmétiques.
Mais derrière l’oranger et sa fleur se cache en fait plus que la passion d’un roi pour les parfums et les odeurs. Tout comme un alchimiste à la recherche de la pierre philosophale, Louis XIV après s’être initié auprès de Martial, son parfumeur personnel, aux secrets de l’Art de la parfumerie, s’enferme dans son apothicairerie pour se préparer en secret des compositions aromatiques.
Malheureusement, sa consommation de parfum était telle qu’il y devint allergique. La simple odeur d’un parfum lui déclenchait d’importantes migraines. Seule une senteur faisait exception : la fleur d’oranger. Le duc de Saint Simon s’en fit l’écho dans ses mémoires « Jamais homme n’aima tant les odeurs et ne les craignit tant après, à force d’en avoir abusé et exceptée l’odeur de la fleur d’oranger, il ne pouvait plus rien supporter ».
Ainsi donc, l’eau de fleur d’oranger devint le parfum attitré de Louis XIV. Après les eaux fortes et les lourdes senteurs animales de musc, d’ambre et de civette qui dominèrent les parfums depuis la Renaissance et qui avaient pour mission de masquer les mauvaises odeurs et de s’en protéger, Louis XIV inaugura, avec la fleur d’oranger, une nouvelle mode olfactive, celle des notes fraîches et élégantes.
Quelle était donc cette odeur si particulière dont le roi s’était épris au point d’en agrémenter sa boisson de quelques gouttes et d’en asperger ses appartements à l’aide de seringues en argent massif ?
Si certaines recettes ont pu être exhumées des secrets enfouis de l’Histoire, il existe des incertitudes quant à la formule exacte employée par Louis XIV. On peut toutefois reconstituer les logiques qui ont permis au bigaradier […], oranger dont les fleurs servent à la distillation de l’eau éponyme, de s’imposer à la cour[4]. Et ce grâce à quelques ouvrages de référence, dont le Parfumeur Royal de Simon BARBE publié en 1699[5] :
Simon Barbe, gantier et parfumeur à Paris, rue des Gravilliers à la Toison d’Or, fut sans doute le plus fameux parfumeur de son siècle. Il écrivit deux manuels de parfumerie, y développant ses connaissances et y dévoilant avec précision son savoir-faire. Le premier, Le Parfumeur françois, composé à l'intention des non professionnels dans l'idée d'enseigner à tous la manière de composer les parfums, en particulier pour le divertissement de la Noblesse, fut publié en 1693.
Il publia en 1699 son second traité, Le Parfumeur Royal, à destination cette fois-ci des gens du métier "qui recueillent des fleurs et nécessaire aux gantiers, perruquiers et marchands de liqueurs".
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